Avant toute chose, il est essentiel de comprendre le fonctionnement de notre modèle économique actuel et ce qui l’influence.
Ce modèle est l’héritage direct de notre ère industrielle. Il repose sur une logique simple : alimenter sans cesse l’économie, en proposant toujours plus de produits ou de services à vendre, sans vraiment s’interroger sur l’impact global de cette dynamique. Ce modèle industriel se distingue par plusieurs caractéristiques fondamentales.
Premièrement, il cherche à standardiser les produits, c’est-à-dire à produire en masse des biens identiques, pour en réduire les coûts de fabrication.
Deuxièmement, cette production en volume permet d’obtenir des économies d’échelle, mais elle entraîne aussi une surproduction. Les marchés sont alors saturés, ce qui intensifie la concurrence. On se retrouve avec une offre massive de produits similaires, souvent plus abondante que la demande réelle, provoquant une chute des prix. Cela pousse les entreprises à vendre toujours plus pour maintenir leurs marges, nourrissant ainsi une spirale de surconsommation.
Enfin, pour alimenter cette machine, il faut aller toujours plus vite : extraire davantage de ressources, utiliser plus d’intrants agricoles, produire toujours plus d’objets, quitte à épuiser les ressources naturelles.
Le problème, c’est que ce modèle repose entièrement sur la nature, qui elle, n’est pas inépuisable.
Pour répondre à une demande toujours plus forte, les ressources sont exploitées à un rythme tel que les écosystèmes n’ont plus le temps de se régénérer. Cela provoque des bouleversements environnementaux majeurs : hausse des températures, multiplication des incendies, des inondations, des catastrophes naturelles.
En clair, notre économie actuelle repose sur une forme d’autodestruction. Il devient donc urgent de revoir notre système en profondeur. Trop longtemps, nous avons persévéré dans une direction qui nous mène droit dans le mur.
Une alternative prometteuse à notre modèle actuel
Loin d’être un concept nouveau, l’économie de la fonctionnalité est étudiée depuis plusieurs années. L’ADEME, par exemple, a publié son premier avis sur le sujet dès 2017.
Cette approche propose aux entreprises de continuer à créer de la valeur, mais sans être dépendantes de la vente de volumes croissants de biens matériels. Elle invite à repenser la relation entre producteur et consommateur.
Son principe est simple: au lieu de vendre un bien, on en vend l’usage. L’entreprise conserve la propriété du produit qu’elle met à disposition du client et facture uniquement l’utilisation qui en est faite.
Prenons un exemple concret : celui des entreprises de photocopieurs. Plutôt que de vendre une machine, elles en assurent la mise à disposition et facturent à l’usage, c’est-à-dire au nombre de copies imprimées. Dans ce cadre, elles ont tout intérêt à proposer un matériel robuste, facile à entretenir et performant sur le long terme.
Ce changement de logique est profond. On passerait d’un modèle basé sur la surproduction, où vendre plus signifie gagner plus, à un modèle basé sur le service rendu par les objets, où la durabilité devient un avantage économique. Autrement dit, produire moins mais mieux pourrait devenir plus rentable.
Pour l’économiste Christian de Tertre, il s’agit même d’« une économie au service de l’humanité, au service des Hommes ».
En effet, on basculerait d’une logique de bien à une logique de service, remettant la valeur d’usage, l’innovation et la qualité au cœur de l’économie.
Ce modèle permettrait aussi, selon lui, de « renouer avec la fibre entrepreneuriale ». Aujourd’hui, nous sommes dans une logique industrielle où les produits sont conçus pour générer du profit, non pour faire avancer la société. L’économie de la fonctionnalité remettrait l’innovation et l’utilité au cœur de l’activité économique.
Mais transformer un modèle économique vieux de plusieurs décennies ne se fait pas du jour au lendemain. Cela demande du temps, de la volonté et une profonde remise en question. Dans une société où tout va vite, où chaque minute compte, il est difficile de ralentir pour réfléchir. Pourtant, cette pause stratégique pourrait bien être la clé d’une économie plus durable.
Qu’est-ce que cela implique concrètement pour les entreprises ?
Tout d’abord, leur rôle évolue. En restant propriétaires de leurs biens, elles sont responsables de ces derniers tout au long de leur cycle de vie. Cela change tout.
Dès la phase de conception, elles doivent anticiper le retour du produit, prévoir son démontage, son recyclage, voire sa remise en état. Cela suppose une nouvelle organisation, une gestion des coûts de fin de vie, mais aussi une opportunité : celle de maîtriser l’impact environnemental de leurs produits.
L’éco-conception devient alors un véritable levier de performance.
Ensuite, la durabilité devient une priorité stratégique. Plus un produit dure dans le temps, plus il est rentable.
Ce raisonnement va à l’encontre du système actuel, qui repose sur l’obsolescence programmée et le renouvellement rapide des achats. En étant responsables de la maintenance, les entreprises devront penser des produits faciles à réparer, avec des pièces interchangeables.
Un des grands avantages de ce modèle, c’est la réduction des coûts de production. Plus besoin de produire à la chaîne : un seul produit bien conçu peut générer des revenus sur toute sa durée de vie. De l’autre côté, le client bénéficie d’un service sans contraintes : pas de frais d’entretien, une tranquillité d’esprit, et souvent une meilleure qualité de service.