Se rendre au contenu

Numérique, pollution et solutions : Comment réconcilier innovation et environnement

Le numérique. Un mot omniprésent. Un mot qui, à lui seul, pourrait définir notre époque. Et pourtant, il y a encore quelques années, il était presque inconnu, réservé à une minorité.

Aujourd’hui, il est devenu presque indispensable. Difficile d’imaginer vivre sans être connecté, surtout depuis l’essor de l’intelligence artificielle.

Cet outil, crée par l’Homme. Une invention à la fois fascinante et redoutable. D’un point de vue technologique, une révolution — peut-être même la plus grande que l’Homme n’ait jamais imaginée. D’un point de vue environnemental, une énigme. Peut-être même une impasse.

Les estimations passées sur la consommation énergétique des centres de données se sont révélées bien en deçà de la réalité. Une étude récente a révélé que les centres de données des géants technologiques — Google, Meta, Apple, Microsoft — auraient émis environ 7,6 fois plus de gaz à effet de serre entre 2020 et 2022 que ce qui avait été déclaré.

En effet, les prévisions des années 2010 sur la consommation des data centers n’ont pas pris en compte des facteurs tels que l’explosion des usages numériques, le streaming, et surtout le rôle croissant des applications basées sur l’IA.

Mais comment pouvait-on anticiper une telle explosion du numérique ?

Comment pouvait-on prévoir l’ascension fulgurante de l’intelligence artificielle ?

Comment pouvait-on imaginer ce que le numérique deviendrait ? Et aujourd’hui, pouvons-nous vraiment savoir ce qui nous attend ?


I) Pourquoi ne devons-nous pas sous-estimer le numérique ?

Commençons par quelques chiffres clés :

En 2020, les émissions de CO2 générées par le secteur du numérique représentaient 4% des émissions mondiales de CO2. Selon plusieurs études, cette part pourrait atteindre entre 6 et 8% d’ici 2030. À titre de comparaison, le secteur de l’aviation, qui représentait 2,5% des émissions mondiales en 2020, pourrait voir cette proportion grimper à 3 à 4% d’ici la fin de la décennie.

Le secteur numérique n’est pas le plus gros pollueur, loin de là. Des secteurs comme l’industrie ou l’agriculture sont bien plus responsables des émissions de CO2.

Mais cela ne signifie pas que le numérique ne pose pas un problème. Au contraire, sa croissance est rapide. La demande pour la création, le traitement et le stockage de données explose. Cela vient des nouvelles technologies comme les plateformes en ligne, les réseaux sociaux, le streaming vidéo, les objets connectés, les véhicules autonomes et l’intelligence artificielle.

Toutes ces technologies augmentent la charge de travail des centres de données et des serveurs, ce qui entraîne une consommation énergétique massive.


Ce sont précisément ces tendances qu’il est crucial de surveiller de pr​ès.


Il y a seulement 20 ans, des technologies telles que les téléphones portables, les ordinateurs portables ou même Internet n’existaient pas sous la forme que nous connaissons aujourd’hui. À cette époque, le secteur numérique ne représentait qu’environ 1% des émissions mondiales de CO2. Entre 2010 et 2020, le nombre d’utilisateurs d’Internet est passé de 2 milliards à 4,5 milliards.

Si cette tendance se poursuit, les projections indiquent que le secteur numérique pourrait représenter jusqu’à 10% des émissions mondiales de CO2 d’ici 2050.

Il y a quelques années, les études sous-estimaient déjà la vitesse de croissance du secteur numérique. Aujourd’hui, elles anticipent une expansion exponentielle.

Mais si, encore une fois, ces projections étaient trop optimistes et que la réalité dépasse ces prévisions ?


II) Comment le digital pollue ?

Une grande partie des données mondiales sont stockées, gérées et distribuées par des centres de données. Ces derniers nécessitent énormément d’énergie pour fonctionner, mais aussi de grandes quantités d’eau pour le refroidissement des serveurs et la production d’électricité.

Les centres de données sont au cœur de notre vie numérique. Bien qu’ils aient été assez invisibles il y a encore quelques décennies, ils sont maintenant indispensables pour les entreprises, les universités, les gouvernements et tous ceux qui dépendent d’eux.

Ces centres abritent les serveurs, les équipements de stockage et l’infrastructure réseau qui permettent de traiter et stocker les données à grande échelle.

En 2018, les centres de données dans le monde ont consommé 205 TWh d’électricité, soit environ 1% de la consommation totale d’électricité de la planète.

Pour mieux comprendre l’impact, il faut savoir que les centres de données utilisent énormément d’énergie par rapport à d’autres types de bâtiments. Par exemple, leur consommation d’électricité par mètre carré peut être 15 à 100 fois plus élevée que celle des bâtiments de bureaux classiques.

Cette consommation a encore augmenté avec l’essor de technologies très gourmandes en énergie, comme l’intelligence artificielle et le traitement de grandes quantités de données.

Cependant, bien que leur consommation d’énergie soit importante, les centres de données ne représentent pas la part la plus polluante du secteur numérique. Selon l’ADEME, la pollution liée au numérique peut se diviser en trois grandes catégories :

Les appareils des utilisateurs (smartphones, ordinateurs, tablettes, téléviseurs), qui représentent 70 à 80% de la consommation du numérique.

Les centres de données, responsables de 10 à 15% des émissions.

Le réseau (fibre optique, câbles sous-marins, antennes, etc.), qui représente 15 à 20% des émissions.


III) Agir maintenant pour éviter une crise

La consommation énergétique des centres de données attire de plus en plus l’attention des chercheurs et décideurs. Cette industrie consomme une immense quantité d’énergie, ce qui impacte directement les émissions de gaz à effet de serre et la consommation d’eau.

Face à cette problématique, des mesures ont été prises pour réduire cet impact : adoption d’énergies vertes, amélioration des systèmes de refroidissement, et optimisation générale de la consommation d’énergie.

Les entreprises cherchent désormais à réduire leur consommation d’énergie pour des raisons économiques, mais cela entraîne aussi des avantages écologiques. Elles visent à obtenir un PUE (Power Usage Effectiveness) le plus bas possible.

Le PUE est une mesure d’efficacité énergétique : un PUE de 1 signifie que toute l’énergie consommée est utilisée directement par les serveurs, sans perte. En réalité, atteindre un PUE de 1 est quasiment impossible, car il faut aussi alimenter des systèmes annexes comme la climatisation et les refroidisseurs.

Cependant, les progrès sont remarquables : en 20 ans, le PUE des data centers a considérablement chuté, malgré une explosion du nombre et de la taille de ces installations.

Par exemple, entre 2010 et 2018, la charge de travail informatique des centres de données a augmenté de 550 %, mais leur consommation d’électricité n’a progressé que de 6 %, grâce à des innovations en matière d’efficacité énergétique et à une meilleure densité de stockage.

Exemples de PUE actuels :

  • Google : 1,1
  • Scaleway : 1,4
  • OVH : 1,1


Ces chiffres peuvent toutefois varier en fonction des saisons, des incidents techniques, ou d’autres facteurs.

Pourquoi cette baisse de consommation ?

L’un des facteurs clés est l’amélioration des méthodes de refroidissement. Par exemple, le watercooling est désormais largement adopté. Ce système utilise de l’eau pour refroidir les composants électroniques, en faisant circuler le liquide dans des tubes pour absorber et évacuer la chaleur. Il est bien plus efficace que la climatisation traditionnelle, car l’eau transporte mieux la chaleur que l’air et consomme moins d’énergie.

Une autre méthode innovante est le bain d’huile, où les cartes électroniques des serveurs sont immergées dans une huile spéciale non-conductrice. Cette huile absorbe la chaleur sans endommager les composants, offrant une solution plus silencieuse, durable et économe en énergie.

En parallèle, l’utilisation d’énergies décarbonées, comme les énergies renouvelables et le nucléaire, joue un rôle important dans la transition écologique des data centers.

Par exemple, en France, les data centers bénéficient d’une électricité très décarbonée grâce au mix énergétique nucléaire et vert.

Aux États-Unis, les géants technologiques comme Microsoft, Google, et Oracle investissent dans des projets nucléaires pour alimenter leurs data centers. 

Microsoft, par exemple, a signé un contrat de 20 ans pour relancer l’unité 1 de la centrale de Three Mile Island en Pennsylvanie, qui produira une capacité maximale de 837 MW d’électricité.

De son côté, Google travaille avec Kairos pour développer de petits réacteurs modulaires, capables de produire jusqu’à 500 MW d’électricité de capacité maximale d’ici 2030.

Ces initiatives visent à répondre à la demande croissante, notamment avec l’essor de l’intelligence artificielle, tout en réduisant les émissions de CO₂.


Cependant, le nucléaire soulève des défis comme le coût, les délais de construction, et la gestion des déchets radioactifs.


Des solutions toujours plus créatives :

Les ingénieurs redoublent d’efforts pour rendre le numérique plus durable. Par exemple, l’entreprise suisse Infomaniak a conçu un data center capable de revaloriser toute l’énergie qu’il utilise.

Situé sous un parc dans un écoquartier de Genève, ce centre récupère la chaleur émise par ses serveurs pour chauffer 6 000 ménages ou fournir 20 000 douches de 5 minutes par jour.

L’énergie thermique générée par les serveurs est dirigée vers des pompes à chaleur, qui élèvent la température pour les besoins des habitants. Ensuite, elle est injectée dans le réseau de chauffage à distance de la ville, offrant une solution durable et innovante pour conjuguer performance numérique et écologie.


IV) Le paradoxe de Jevons

Même si les nouvelles technologies et les efforts pour rendre le numérique plus efficace semblent réduire l’impact environnemental, elles peuvent en réalité conduire à une augmentation de la consommation.

C’est ce qu’on appelle le paradoxe de Jevons.

Prenons l’exemple du charbon : les machines à vapeur plus efficaces ont permis d’utiliser le charbon de manière optimisée. Mais au lieu de consommer moins, on a finalement utilisé plus de machines à vapeur, donc plus de charbon.

Un autre exemple, c’est le passage de la lettre au mail : avant, on envoyait une lettre tous les deux jours. Aujourd’hui, grâce au mail, on en envoie plusieurs par jour. Résultat : plus de données envoyées, donc plus de consommation d’énergie.

Alors, attention ! Améliorer l’efficacité ne doit pas devenir une excuse pour consommer encore plus.


Les crédits carbones, solution ou cache-misère ?