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Migrations climatiques : une réponse face aux bouleversements environnementaux

Dans la région du Sahel, on estime que 70 % des familles dépendent de l’agriculture de subsistance comme principale source de revenu. Or, cette forme d’agriculture est très vulnérable aux variations climatiques, qu’il s’agisse de la température ou des précipitations. 

À la moindre baisse des pluies ou à une hausse de la chaleur, les familles peuvent perdre leur seule source de revenus. Tout cela dans un contexte déjà instable, marqué par des coups d’État au Mali, au Burkina Faso et ailleurs dans la région.

Face à cette situation, les familles disposent souvent de deux options :

1 – Chercher de nouvelles terres au risque d’aggraver les conflits

Dans certains cas, les familles tentent de trouver d'autres terres cultivables. Mais cela entraîne souvent des conflits fonciers. Les gens se disputent l’usage des terres, parfois jusqu’à la violence. 

Dans ces zones où l’État est peu présent, avec peu de police ou d’institutions judiciaires efficaces, la population se tourne parfois vers des groupes armés pour assurer l’ordre. Il peut s’agir de groupes terroristes ou de milices liées à la Russie, comme le groupe Wagner.

C’est ainsi que l’on assiste à une montée de l’insécurité dans toute la région du Sahel. Et cela déclenche des vagues de migration, causées en grande partie par la dégradation des sols et la variabilité climatique.

2 – Envoyer un membre de la famille en ville

Dans d’autres situations, les familles choisissent d’envoyer un ou plusieurs fils en ville, pour tenter de trouver un emploi et envoyer de l’argent à la maison. Mais ces villes ne parviennent pas à absorber l’arrivée massive de migrants venus des campagnes. Le logement devient rare, le marché du travail saturé. Ces jeunes, souvent sous pression familiale, deviennent des proies faciles pour les passeurs et trafiquants.

Ils se retrouvent entraînés dans des trajectoires migratoires irrégulières, circulant de ville en ville, parfois jusqu’en Tunisie ou en Libye, où ils subissent violences, emprisonnement, viols, voire vente sur des marchés d’esclaves. 

Certains finiront par tenter de traverser la Méditerranée sur des bateaux précaires, dont beaucoup feront naufrage. Ceux qui parviennent en Europe sont souvent qualifiés de migrants économiques car ils ne fuient pas une guerre, mais des conditions de vie devenues intenables.


Migrations : économiques, politiques… et climatiques ?

D’après les conventions de Genève, il n’existe que deux types de migrants : économiques et politiques. Pourtant, si l’on examine les causes profondes des déplacements, on constate souvent une dimension climatique, comme dans le cas du Sahel.

Depuis toujours, les conditions environnementales ont influencé les migrations. Comme l’explique François Gemenne, politologue et co-auteur du 6ᵉ rapport du GIEC, l’environnement est un facteur majeur de répartition des populations à travers l’histoire. 

Depuis la préhistoire, les humains migrent pour chercher des ressources ou fuir des catastrophes. Aujourd’hui, dit-il « avec le changement climatique, cela prend d'autres proportions » entraînant une redistribution géographique des populations mondiales avec certaines zones devenant plus ou moins habitables.


Une région peut devenir inhabitable à cause de catastrophes naturelles, mais aussi de facteurs économiques. Contrairement aux pays riches, une grande partie de la population mondiale dépend directement du climat pour survivre.


Selon Burzyński et al. (2019), le changement climatique pourrait forcer ou encourager le déplacement de 200 à 300 millions de personnes d’ici 2050. Ces déplacements seront souvent liés à une combinaison de raisons économiques et climatiques.

Il reste difficile de prédire les migrations climatiques, car il n’existe pas de règle universelle. François Gemenne parle d’un seuil d’habitabilité propre à chacun. Autrement dit, la perception du changement climatique varie d'une famille à une autre, tout comme les motivations à migrer.

Lors d’une conférence sur le climat, Katrin Millock, économiste et directrice de recherche au CNRS, affirme même qu’« il n’y a pas de lien automatique entre la hausse des températures et le nombre de migrants ». 

Autrefois, certains pensaient que le climat pouvait prédire directement le comportement humain et qu’un certain niveau de réchauffement entraînerait un pourcentage fixe de migrations. Or, ces projections se sont révélées trop simplistes car elles ignorent les autres facteurs sociaux, politiques et économiques ainsi que la diversité des réactions humaines.


Que signifie vraiment "migration climatique" ?

Selon Katrin Millock, les migrations liées au climat peuvent être classées en deux grandes catégories :

  • "Slow onset" : évolutions lentes et durables comme la désertification, la montée du niveau de la mer, la baisse des précipitations…
  • "Fast onset" : événements soudains comme les inondations ou les tempêtes.

Les recherches montrent que les changements progressifs sont ceux qui poussent le plus souvent à des migrations durables, tandis que les catastrophes soudaines entraînent des déplacements plus courts et temporaires. Par exemple, après l’ouragan Katrina aux États-Unis en 2005, de nombreux habitants se sont déplacés, mais une majorité est ensuite revenue.

La migration est souvent vue comme une solution de dernier recours notamment en cas de catastrophe. Mais pour certains, elle représente aussi une stratégie d’adaptation volontaire, un choix pour tenter de meilleures conditions de vie ailleurs. Toutefois, la migration a un coût et tout le monde ne peut pas se le permettre.

D’un point de vue économique, Katrin Millock explique qu’il existe une relation en U inversé entre le revenu par habitant et la probabilité de migrer. Autrement dit :

  • Ceux qui ont assez de moyens peuvent migrer,
  • Mais les plus pauvres n’ont souvent pas les ressources nécessaires pour partir.

Le réchauffement climatique entraîne une baisse de rendement agricole, en particulier dans les pays en développement comme ceux du Sahel où l’agriculture représente la principale activité économique. Résultat : les familles s’appauvrissent encore davantage sans avoir les moyens de partir.

C’est ainsi qu’émergent des populations piégées : elles vivent dans des zones de plus en plus hostiles, mais n’ont pas la possibilité d’émigrer.

Ce problème concerne surtout les pays proches de l’équateur, plus vulnérables aux bouleversements climatiques. Or, ce sont aussi souvent des pays à faibles revenus, avec peu de moyens financiers ou technologiques pour s’adapter.

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